Page 15 - Bergerac-Duras Mag Connexion n° 08
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 L’adéquation organoleptique entre l’offre et la demande reste primordiale et il est naïf de penser que les consommateurs puissent acheter durablement des pro- duits qui ne leur plaisent pas, tout comme il est naïf de penser que les consomma- teurs ne seraient pas capables de savoir ce qui leur plaît.
Alors que nous disent-ils ces consom- mateurs sur ce sujet ? Les réponses sont assez contrastées. Le «plus de fruit»4 et « moins de bois » sont clairement les termes qui reviennent le plus souvent dans ces échanges quand on se concen- trait sur les vins rouges de Bordeaux. Ceci n’est pas nouveau et du reste, les profes- sionnels répètent ces mots aujourd’hui tout comme celui « d’éclat », de « naturali- té » ou de « fraîcheur » qui sont en réalité très compliqués, voire impossible à définir.
Le point important à retenir est surtout que ce qui est dit n’est pas nécessaire- ment ce qui est demandé dans les faits... Cette demande de fruit ne serait-elle pas plutôt une demande de douceur des ta- nins et d’absence d’astringence, ce qui est plus subtil et difficile à exprimer ? C’est ce que nous avons cru comprendre...
Il vaut mieux innover que de revenir
à un goût unique
Dans le même ordre d’idée, le terme de « minéralité », quand il s’agit de vins blancs, fait partie de cette terminologie sur la- quelle chacun met ce qu’il veut, sans que l’on soit nécessairement capable d’y ados- ser une molécule5.
Les observateurs de la filière devraient, à notre sens, également se concentrer un peu plus sur les attentes en termes de complexité des vins, même si celle-ci n’est pas explicitée dans ce terme. Cette com- plexité peut être affectée par des choix stratégiques passés (qui entraînent en- core la surmaturation, avec augmentation de la teneur en sucres, baisse de l’acidité) et par le réchauffement climatique, ce qui est plus embêtant car irréversible.
La demande de réduction d’alcool (qui,
La rencontre s’est déroulée salle des Dominicains à Saint-Émilion.
Économie
 sans doute, rime avec le fameux mot « fraîcheur ») est ainsi clairement sous-es- timée6, d’autant plus que l’on considère souvent que pour les vins d’entrée de gamme, les vins rouges de Bordeaux restent encore « en décalage avec les at- tentes de vins frais faciles à boire, et à boire jeunes ».
La standardisation du goût est de toute façon redoutée par les consommateurs, tout comme est redoutée la perte d’identi- té des vins. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette question, parce qu’elle est souvent mal comprise. Mais ce point de vue qui s’est dégagé ne va pas, contraire- ment à ce que l’on pourrait croire, à l’en- contre d’une volonté (notamment des plus jeunes de nos consommateurs) de décou- vrir de nouvelles caractéristiques avec de nouveaux cépages qui devraient être es- sayés. « Il vaut mieux innover que revenir à un goût unique » entendait-on, d’autant plus s’ils s’adaptent mieux aux climats d’aujourd’hui et aux exigences environne- mentales.
De fait, la façon dont est fait le vin in- téresse les consommateurs, même si on leur demande de se concentrer sur leurs attentes organoleptiques... Comme si l’évaluation sensorielle était conditionnée par la connaissance ou non du mode de production. On voyait du reste à cette oc- casion une réelle difficulté des consom- mateurs à déconnecter leurs attentes les unes par rapport aux autres (en se référant aux trois thématiques du forum). Ceci peut conduire à se poser clairement
la question de l’aspect holistique (ou non) de la consommation et de la valorisation d’un vin. (Holistique = approche globale de la question).
Un dernier point qui intéressait claire- ment notre auditoire, en lien avec la ques- tion hédonique, était celui du contexte de consommation («je n’évalue pas de la même façon un vin si je le consomme à la maison ou dans un restaurant, si je l’associe avec un plat plutôt qu’un autre ») et de la différenciation des attentes or- ganoleptiques. Cette conjecture pose de vraies questions par rapport à l’évolution des modes de consommation (augmenta- tion régulière de la vente hors domicile) et même des volontés de casser les codes de la consommation (« Boire du vin avec des glaçons, en cocktail »).
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4 - Les phrases entre guillemets sont pronon- cées par les parties prenantes du forum.
5 - Ce sujet a fait l’objet d’un séminaire de la chaire ASVV (« Parlez-vous la langue du Vin ? », ASVV-INNO’VIN, Bordeaux, 22 juin 2023, dont la restitution est également disponible sur de- mande).
6 - Voir sur ce point Tempère, S., Pérès, S., Fuentes Espinoza, A., Darriet, Ph., Giraud-Héraud, E., Pons, A. (2019), “Consumer preferences for different red wine styles and repeated exposure effects”, Food Quality and Preference. 73, pp 110- 116. Cette publication met en lumière le risque qu’il y a à faire confiance aux évaluations sponta- nées en matière d’évaluation sensorielle, et in fine à l’enjeu économique de la valorisation stabilisée.
15 CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - OCTOBRE 2023















































































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