Page 16 - Bergerac-Duras Mag Connexion n° 08
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Le capital culturel du vin
Le capital culturel du vin est primordial, au moins pour l’image que se font les consommateurs des vins de Bordeaux. Nous l’avons mesuré à cette occasion, qui plus est du côté des jeunes générations, ce qui peut paraître plus étonnant. Parce que le vignoble de Bordeaux s’est construit au cours des siècles sur un système très complexe d’organisation de filière, et ce système n’est pas vraiment connu des consommateurs. Et comme les analystes ont horreur de la complexité, il est réguliè- rement remis en cause.
Pour faire court, ce vignoble comporte aujourd’hui six grandes familles de vins (Bordeaux et Bordeaux supérieurs, Côtes de Bordeaux, Libournais, Médoc, Graves et Sauternes, Blancs secs), 37 appellations d’origine contrôlée, cinq classements à phi- losophies bien différentes (1855, Graves, Saint-Émilion, Crus Bourgeois, Crus Arti- sans). Plus de 40 coopératives et unions qui, en marge des crus, approvisionnent plus de 25 % du marché avec un nombre de références très important alors que près de 9 000 noms de châteaux, représentant mal- gré tout l’archétype de Bordeaux, consti- tuent en réalité le "capital" de Bordeaux se- lon les personnes interrogées...
Dans ces conditions, la tentation serait bien sûr une forte simplification de ce maquis de l’offre et de son organisation. Favoriser le développement des marques industrielles de négoce, réduire le nombre d’AOC, et arrêter les classements, ne don- nerait-il pas plus de possibilités de lissage de la qualité des vins d’entrée de gamme qui serait (potentiellement) plus constante pour mieux pénétrer des marchés de grande distribution au niveau national et international ?
Les classements étaient en effet dé- criés. Mais en réalité, il semble que nos consommateurs n’étaient pas du tout sur ce registre de banalisation qui remettrait de fait en cause la "magie" du vin, et l’at- tachement à un Historique avec un grand "H" («Accessibilité des informations sur l’histoire de la propriété » qui reste une At- tente exprimée avec un grand "A").
Nos réflexions aboutissent plutôt à l’idée que si le « monde du vin doit s’ouvrir davantage », c’est surtout pour des ques- tions de transparence sur les modes de
production, et même leur valorisation en lien avec les cultures régionales et la gas- tronomie souvent évoquées.
« Les jeunes aussi mentionnent les AOC »
Contrairement à ce que l’on pourrait pen- ser, la notoriété des appellations d’origine contrôlée (AOC) est mentionnée même par un public jeune (même si ce public à une culture limitée sur ces AOC).
Tout se passe comme si les consomma- teurs participants demandaient une plus grande communication et une plus grande prise de conscience de cette culture du vin (les festivals, fêtes du vin, le lien avec la gastronomie restent plébiscités) tout en réclamant des innovations en matière de communication. Au bout du compte, la diversité est plutôt plébiscitée, ce qui de- vrait inciter à une "segmentation" du mar- ché, ce qui en terme économique se tra- duit par une capacité à exploiter au mieux l’hétérogénéité des goûts et attentes des consommateurs.
Dès lors, on peut aussi décider de ne pas chercher à remédier à cette complexi- té exposée plus haut pour Bordeaux. Et au contraire en faire une force de vente. Dans ce cas, on partirait d’un slogan de type « Bordeaux, un vin pour chaque usage et pour chaque goût », en assumant pleine- ment une démocratisation des attentes des consommateurs.
Notons à cette occasion que les trois thématiques de ce forum avaient la pos- sibilité de s’appuyer sur la matérialisation
du discours à l’aide de quatre vins borde- lais achetés dans le commerce avec des représentations bien différentes :
1- Un vin de propriété familiale s’ap- puyant sur le château traditionnel ; 2- Un vin de marque de coopérative ;
3- Un vin de marque de négoce ;
4- Un vin qualifié de "disruptif" avec mentions distinctives : bio, sans sul-
fites ajoutés.
Les animateurs de ce groupe "capital culturel" se sont beaucoup appuyés sur cette contextualisation pour confirmer en substance un attachement aux références patrimoniales quand on parle de vins de Bordeaux ou de tout autre vignoble.
Le vin de marque de négoce qui affichait un monument historique de Bordeaux sur l’étiquette ne s’y est peut-être pas trompé, même si cela n’a rien à voir avec un « châ- teau ». Cependant la tendance était plutôt à une demande de « dépoussiérer les éti- quettes », ce qui n’est pas contradictoire.
Au final, abandonner la construction his- torique de Bordeaux, le château, la notion de millésime, au profit d’intérêts écono- miques de court terme et trop facilement rationalisables, ne paraissait pas être le moyen de gagner une guerre économique.
En d’autres termes, le capital de réputa- tion qui repose sur le capital culturel reste le fer de lance d’une reconquête économique, et non pas le (pseudo) boulet (comprendre l’hypothétique «Bordeaux bashing») véhi- culé par les médias, mais qui n’est peut- être pas aussi présent qu’on le pense dans l’esprit des consommateurs.
CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - OCTOBRE 2023 16
Économie
Le panel de dégustateurs lors d’un temps d’échanges.