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Technique
Un outil pratique et abordable pour évaluer l’état hydrique de la vigne : la discrimination isotopique du carbone ou 13C
L’évaluation de l’état hydrique de la vigne est nécessaire
pour comprendre l’effet du sol et du climat, ainsi que celui
des pratiques viticoles, sur le rendement et la qualité du vin. Parmi les indicateurs disponibles (voir pages précédentes),
la discrimination isotopique
du carbone (δ13C) mesurée sur
le moût à maturité est facile à utiliser, fiable et peu coûteuse. Comme elle fournit une évaluation a posteriori de l’état hydrique de la vigne pendant la période de maturation du raisin, elle peut être utile pour évaluer l’effet des pratiques viticoles saisonnières et pour cartographier l’état hydrique du vignoble. Les applications possibles et les limites de cette technique sont discutées
dans cet article.
Évaluation de l’état hydrique de la vigne
L’état hydrique de la vigne est un para- mètre clé en viticulture, qui affecte à la fois la croissance de la vigne, le rende- ment et le potentiel qualitatif du raisin. L’état hydrique de la vigne dépend de la disponibilité en eau du sol (en relation avec sa capacité de rétention), des pa- ramètres climatiques (précipitations et évapotranspiration potentielle), du sys- tème de conduite (densité de plantation, surface foliaire par hectare), du génotype (porte-greffe et cépage) et des interven- tions annuelles (gestion du sol, opéra- tions en vert).
De nombreuses méthodes d’évaluation de l’état hydrique de la vigne ont été déve- loppées et peuvent être regroupées suivant trois approches : (1) mesures basées sur
l’eau dans le sol, (2) modélisation du bilan hydrique et (3) mesures effectuées sur la vigne. La précision des approches basées sur le sol et la modélisation est limitée par la difficulté de l’évaluation de la capacité de rétention d’eau du sol (réserve utile). Celle-ci dépend fortement de la profondeur d’enracinement, un paramètre qui n’est pas facilement mesurable sur le terrain.
Les indicateurs mesurés directement sur la vigne, en revanche, intègrent natu- rellement la capacité de rétention en eau du sol de la zone racinaire de la vigne et fournissent donc des résultats plus fiables. On les appelle aussi indicateurs physiologiques et on peut citer l’évalua- tion du potentiel hydrique par chambre à pression, qui est largement utilisée pour déterminer le potentiel foliaire de base (mesuré en fin de nuit) ou de tige (mesuré en début d’après-midi sur des feuilles pré- alablement ensachées).
La discrimination isotopique du carbone (δ13C), mesurée sur un prélèvement de rai- sin à maturité, est un indicateur de l’état hy- drique de la vigne complémentaire, qui pré- sente un fort potentiel d’application pour la gestion technique du vignoble. Bien que les premiers articles sur cette technique aient été publiés il y a plus de 20 ans (Gaudillère et al., 2002), elle n’est toujours pas largement adoptée par les praticiens.
Le principe
de la discrimination isotopique du carbone
Il existe trois isotopes (même nombre de protons mais nombre différents de neutrons et donc masse atomique diffé- rente) du carbone, mais seuls 12C et 13C sont stables dans l’environnement, ce qui les rend utiles pour évaluer la discrimi- nation isotopique dans la nature. Le 12C représente 89,9 % du carbone du CO2 at- mosphérique et le 13C seulement 1,1 %.
Au cours de la photosynthèse, les plantes utilisent préférentiellement le CO2 contenant du 12C. Ce processus est ap- pelé la « discrimination isotopique », car le 13C est laissé de côté au profit du 12C. Par
conséquent, les rapports 13C/12C dans les sucres produits sont inférieurs à ceux du CO2 atmosphérique.
Lorsque les plantes rencontrent un dé- ficit hydrique, les stomates se ferment. Dans ces conditions, la discrimination isotopique en faveur du 12C est réduite et les produits de la photosynthèse sont plus riches en 13C. Au cours de la maturation, ces sucres s’accumulent dans le jus du raisin, ce qui fait que le rapport 13C/12C mesuré dans ce jus permet de savoir si les vignes ont été soumises à un déficit hy- drique et, le cas échéant, d’en déterminer l’intensité (van Leeuwen et al., 2009).
Le rapport 13C/12C peut être mesuré par spectrométrie de masse isotopique avec une grande précision. Ce rapport est comparé à un étalon dont le rapport 13C/12C est connu ; cette comparaison s’exprime dans une valeur appelée δ13C :
Certains laboratoires proposent l’ana- lyse par infra-rouge à transformée de Fourrier (IRTF, généralement un appareil de type FOSS), mais cette méthode est à éviter car elle est nettement moins fiable que la spectrométrie de masse isotopique.
Classification des niveaux de contrainte hydrique
Le δ13C mesuré sur le moût de raisin à maturité varie entre -28‰ pour les vignes sans déficit hydrique, jusqu’à -20‰ pour les vignes souffrant d’un stress hydrique sévère. La classification de l’intensité du déficit hydrique dans cette fourchette dif- fère un peu d’une publication à l’autre.
Les valeurs du δ13C sont légèrement influencées par la variété de vigne, ce qui peut expliquer ces différences (Plantevin et al., 2022). Les seuils du Tableau 1 sont calculés à partir de van Leeuwen et al. 2009 et Santesteban et al. 2015 et s’ap- pliquent à des régions à climat tempéré. Des valeurs seuils plus précises, spéci- fiques au site et à la variété, peuvent être obtenues localement en combinant les mesures de δ13C et de potentiel hydrique. Globalement, une variation de 1‰ de δ13C
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