Page 23 - Bergerac-Duras Mag Connexion n° 05
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Gabriel Lépousez, docteur en neurosciences et chercheur à l’Institut Pasteur, spécialisé sur les mécanismes de perception du cerveau.
demandent des tanins pour venir évacuer cette pellicule. Les tanins qui s’agglo- mèrent à notre salive viennent ainsi jouer le rôle de rince-palais. »
A contrario, quand il fait chaud, com- ment réagit notre corps ? « Tout d’abord, il faut bien faire la distinction entre avoir soif et avoir chaud. Quand j’ai chaud ou quand j’ai soif, je ne recherche pas le même type de boisson. »
Gabriel Lépousez est un pédagogue hors pair, et un passionné. Le vin peut donc être tanique, mais la grande quête du dégustateur est : « Comment définir la fraîcheur d’un vin ? Nous aimons tous en rechercher les caractéristiques. Ce ressen- ti de fraîcheur sur un vin rouge peut venir de notes de menthol ou de végétal qui in- duisent un côté rafraîchissant. » Et il met en garde : « Vous pouvez déguster un vin qui conserve beaucoup de fraîcheur à 14 ou 15°, parce qu’il a bénéficié un travail à la vigne et au chai qui a permis de conser- ver un équilibre d'acidité. Mais quand le consommateur lit cette indication sur la bouteille, cela vient biaiser l’analyse qu’en fait le cerveau. »
Face à la chaleur, le corps se met en quête de fraîcheur. Des tests ont été ré- alisés en laboratoire entre de l’eau plate et de l’eau pétillante. « En bouche, le CO2 peut être converti en ion H+, qui va induire une sensation d'acidité en bouche, et le cer- veau y lit de la fraîcheur. Le gaz stimulant de l’eau gazeuse, légèrement irritant, qui vient piquer nos narines, réveille un assoupis- sement qui peut-être lié à la chaleur. Le cerveau analyse une boisson gazeuse comme une boisson stimulante. Voilà comment une petite molécule peut éveiller nos ressentis. »
Il voit dans la montée en puissance de l’effervescence l’illustration de cette quête de fraîcheur. Il regarde aussi la hausse de consommation de bière avec prag- matisme : « La boisson est moins marquée en degré d’alcool, moins élitiste, avec des formats plus petits, de l’effervescence. Un ensemble qui marque le consommateur. »
« Dans cette notion rafraîchissante, l’amertume induit aussi une notion de frais, de végétal, avec une dimension éveillante et persistante. Les Italiens ont une culture de l’amertume formidable, avec un voca- bulaire qui différencie les différents amers. Cet équilibre entre acide, amertume, sucro- sité fait partie des accords connus des pâ- tissiers, mais éloigné des vignerons. »
climat engendre des aléas 6 ou 7 fois par décennie, c’est beaucoup plus compliqué. Dans toutes les régions viticoles, nous de- vrons réfléchir à notre modèle de négoce et de business. »
« Quand on engage un investissement dans le secteur viticole, on prend en consi- dération trois ans pour la plantation, sept ans pour le développement, et on envisage 30 ans de rythme de croisière. Aujourd’hui, dans un modèle de développement, on doit envisager les adaptations à faire sur la conduite de la vigne, le type de vin que l’on va faire, la possible irrigation. Parfois, des solutions du passé, qui avaient été aban- données, redeviennent intéressantes pour nos productions. Cela peut-être des clones oubliés, des assemblages anciens. »
Il constate que l’ensemble des défis à relever par la production viticole se heurte à une pyramide des âges élevée : « Ce que vous observez en France, nous le vivons aussi au Portugal, et il en est de même en Espagne et en Italie. »
« Partout, nous avons des centres ur- bains de plus en plus peuplés. Et dans le même temps, nos espaces ruraux connaissent un déséquilibre de pouvoir pour la gestion même de nos espaces ru- raux. Aujourd’hui, et nous le constatons de plus en plus dans nos pays, la plupart des décisions sont prises par des gens qui ne connaissent pas l’espace rural. »
« Cette évolution entre ville et campagne fait que nous aurons besoin d’éducation, d’agents de territoire. Et que les produc- teurs, les interprofessions doivent partici- per à créer des moments de contacts. Cela se fait par l’œnotourisme, et par des évé-
nements urbains, qui ont pour ambition de montrer les savoirs faire. »
Pour António Graça, « le consommateur est partie intégrante du système. Sur ce point, le concept de terroir a besoin d’une correction. Il a été bâti autour de trois cri- tères : le sol, le climat et la plante. Sauf qu’il y a la pratique humaine à la vigne et la pra- tique humaine au chai. Il faut aussi ajouter une autre intervention de l’homme en tant que consommateur. Si le consommateur ne reconnaît pas le vin, s’il ne reconnaît pas la typicité de production, alors qu’elle est la notion même de terroir, de nos terroirs ? »
« Les tanins sont des rince-palais »
Si le changement climatique a une in- cidence sur la vigne, il impacte aussi le marché. Parce que nos corps recherchent d’autres perceptions quand le climat change.
Gabriel Lépousez est docteur en neuros- ciences et chercheur à l’Institut Pasteur, spécialisé sur les mécanismes de percep- tion de notre cerveau, et les intéractions sensorielles corps-cerveau. Il est égale- ment passionné de vin.
Pourquoi, par temps froid, mon corps s’accommode aisément du vin ? « Si je prends un plat d’hiver, un cassoulet par exemple, un sommelier me proposera un vin tanique. Si vous vivez au Japon, avec du ventre de thon, une partie très grasse du poisson, il vous sera proposé un thé vert in- fusé, plutôt tanique. »
«Quand on mange un plat gras, il se forme dans votre bouche une pellicule de corps gras. Les corps gras, qui créent avec la salive un film gras saturant en bouche,
Économie
23 CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - JUIN 2023