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Économie
Anticiper la réaction des consommateurs
Alejandro Fuentes Espinoza, Chilien, économiste, est un pionnier. En 2016, il soutient une thèse à l’ISVV à Bordeaux sur le thème : Vin, réchauffement climatique et stratégie des entreprises : comment antici- per la réaction des consommateurs ? (Il est depuis directeur du pôle Économie et Droit à l’OIV).
«Nous étions la première équipe de re- cherche qui se posait cette question de la relation du changement climatique au consommateur de vin, et ce qu’elle pouvait impliquer pour l’entreprise viticole, explique Alejandro Fuentes. Nous avions deux ap- proches dans ce cadre. Si l’on se place du point de vue du producteur, quel type de vin va demain être adopté par le marché ? Et si on se situe du point de vue du consom- mateur, quelles seront ses attentes et sa capacité à payer. »
Sur ce second volet, il explique que « le consommateur a beaucoup d’attentes : environnementales, sociétales, de santé, mais aussi de prix. Un vin doit répondre à des critères assez personnels sur les préférences gustatives, les habitudes de consommation, l’éducation au vin. »
L’économiste insiste aussi sur la capa- cité à payer des consommateurs : « Je peux aimer beaucoup Ferrari ou Porsche, mais avoir les moyens de rouler en Fiat ou en Dacia. Pour le vin, le postulat était de prendre les vins du marché, élevés par des influences historiques. Cependant, prenons du recul, depuis 10 ans l’orienta- tion des vins rouges a beaucoup changé.
Déjà dans ma thèse, je soulignais les phé- nomènes de saturation que l’on observait : des vins trop lourds, des vins qui donnaient un sentiment de fatigue. » L’économiste, lors de sa mission de recherche admet- tait observer des comportements « versa- tiles » des consommateurs : « Nous avons constaté les comportements et habitudes des consommateurs évoluer s’il faisait froid ou chaud. »
Pour Alejandro Fuentes, le monde agroalimentaire est confronté à « une forte dualité entre tradition vs innovation. Et cette réalité est d’autant plus forte dans le monde viticole. Vous aurez toujours des consommateurs qui sont en recherche de typicités connues, qui recherchent un "Saint-Émilion typique" ; et ceux qui font un arbitrage sur des critères différents : plus de fruit, un label environnemental ou socié- tal, etc. »
Et ce marché du vin voit arriver un nou- vel entrant : « Le marché des boissons dé- salcoolisées explose à l’échelle mondiale. À l’OIV, nous travaillons à la mise en place d’un cadre légal. Car nous observons une double pression : celle des consommateurs et celle des producteurs qui envisagent de se positionner sur ce marché. »
Intégrer
le consommateur au terroir
Le changement climatique, ce réchauf- fement régulier semble changer les ha- bitudes. À quelle température extérieure cesse-t-on de boire du vin rouge ? À quelle température cesse-t-on de boire du vin ?
Antnio Graça, directeur R&D du groupe portugais Sogrape, secrétaire de la commission technique de l’OIV.
Alejandro Fuentes Espinoza, directeur du service économie et droit de l’OIV.
Antnio Graça, directeur de recherche et développement à Sogrape, plus gros ac- teur vinicole du Portugal, et secrétaire de la commission technique à l’OIV aborde ces questions avec intérêt : « C’est un phénomène que nous étudions. À ce jour, les données ne sont pas très claires, et ne nous permettent pas d’attribuer com- plètement au climat les changements de consommation. Il est des endroits chauds au Portugal, aussi chaud qu’à Madrid, où la consommation de vin rouge est beau- coup plus élevée qu’en Espagne. Ailleurs, aux États-Unis, on ne constate pas de baisse de consommation de vin rouge. » Mais ce pays a une particularité, 90 % des habitations sont climatisées (91 % au Ja- pon contre 5 % des ménages en France en 2019 - source Agence international de l’Énergie - octobre 2022).
« Si on se place du point de vue des oc- casions de consommation, on observe des recherches de produits frais que sont les vins blancs et les vins rosés. Mais à ce jour, nous ne possédons pas d’étude qui s’at- tarde sur la relation climat et consomma- teur. Or, pour la bière, des études existent ! »
L’observation d’António Graça se rap- proche de celle d’Alejandro Fuentès : l’autre conséquence du changement cli- matique, c’est le risque de modification de la typicité des vins : « Les caractéristiques de ce qui fait le produit aujourd’hui risquent de se perdre. Cela va concerner Bordeaux, la Champagne au même titre que la Vallée du Douro. »
« Quand nous avions une à deux années par décennie qui s’écartaient des critères de typicité, c’était gérable. Mais quand le
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