Page 9 - GESI n°96 // Mai 2022
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Le vocabulaire donc : c’est lui qui pose les bases.
En premier, la compétence. Laissons de côté les définitions savantes et la vulgate parfois étourdissante, et restons pragmatiques. Mettre la compétence au premier rang du dispositif de formation, c’est affirmer que, à l’IUT, on ne vient pas prioritairement apprendre des notions (les lois de la physique ou de l’électronique, la théorie du signal ou l’équation des télégraphistes) mais on vient s’exercer à faire (ce qu’on pourra aisément expliciter en : concevoir, vérifier, etc.), et on ambitionne d’être, à terme, capable de réaliser les gestes attendus d’un professionnel dans l’exercice de son métier.
L’acceptation de la notion de compétence, engagée depuis plus de 15 ans, creuse son sillon, peu à peu. Autour d’elle, des appellations nouvelles entrent dans le paysage : SAÉ bien sûr, ressource, portfolio, apprentissage critique.
Ce que portent ces mots nouveaux, c’est un changement de paradigme, de manière d’envisager la formation dans son ensemble. Le langage nouveau engage la rénovation en profondeur. En conséquence de quoi, le paysage se réorganise, avec la place centrale prise par les situations d’apprentissage et d’évaluation. Dans la filière GEII, ces situations ne constituent pas une terra incognita ; sans qu’elles y soient assimilables, les SAÉ héritent d’une culture du travail en mode projet pratiquée depuis très longtemps.
Toutefois, elles déplacent l’accent : auparavant, il était mis sur l’objet technique, tandis que désormais il se porte sur la démarche de l’étudiant dans le paysage technique.
Explorons cela !
À l’IUT de Lille
Pour Emma, le processus scolaire, avec son lot de difficultés et d'inquiétudes liées à ses mauvais résultats, obère presque totalement la démarche.
Autrement dit, la question du sens ne se résout pas si aisément, quand le stress de la réussite rôde. Les étudiants adhèrent, mais il faut du temps pour changer d’attitude. L’invitation à devenir le moteur de leur propre construction, ils la reçoivent, il semble bien que la majorité s’en saisit, mais ça reste difficile de faire abstraction, à 18 ans, de l’exigence de réussite qui plane sur leur parcours. De même, l’expérience éprouvante de la crise sanitaire, comme celle de la précarité économique, voire sociale (urgence écologique, agitation politique, incertitudes internationales), pèsent sur les trajets d’apprentissage, tout autant que la confrontation à un nouveau modèle de la formation.
Face aux étudiants, les équipes pédagogiques. Tenter de dresser le portrait de ces acteurs en plein chantier, à partir de trois courtes rencontres, est un défi qui ne peut être relevé que de manière partielle. Ce qui reste bluffant, c’est l’envie d’avancer : “on a essayé, mais on fera mieux” résume Florian.
Le BUT est assurément l’occasion d’une redynamisation puissante de la pratique de leur métier pour bon nombre d’enseignants. Pour certains, c’est même, en point d’orgue de leur vie professionnelle, le moment où ils trouvent ou retrouvent le sens profond de leur métier. Ce qui est bouleversé en premier, c’est leur regard sur l’étudiant. Il était surplombant (de haut en bas vers un "jeune-contenant" à former, à remplir de connaissances essentielles), devient latéral.
Dans le nouveau paradigme de formation, on ne forme plus un étudiant, c’est lui qui se forme et l’enseignant - mais le terme perd sa pertinence - accompagne sa démarche, la facilite et la valide. En second, l’usage du “nous” devient prépondérant dans les discussions autour des SAÉ : l’activité mobilise une équipe qui, pour être efficace, doit travailler en tissant toutes les énergies individuelles qui la constituent.
Le travail en équipe n’est pas une nouveauté en IUT, mais la mise en place du projet BUT lui donne un coup de fouet. Soyons cependant réalistes : on sait bien que tout le monde n’adhère pas, ne s’engage pas avec le même enthousiasme dans le projet. Il n’empêche, le mouvement est enclenché car une masse critique de collègues a basculé du côté de l’innovation, parce qu’elle y a trouvé son compte avec de nouvelles perspectives qui ouvrent des voies pour renouveler des pratiques que le temps et les contraintes administratives grignotent à petit feu.
Paul note ainsi : “En TP, on est souvent frustré parce qu’on met trop de choses dedans, et on reste sur l’impression de ce qui n’a pas été vu... Dans les SAÉ, j’ai retrouvé du plaisir : on prend plus de temps pour échanger avec les jeunes”. Et que dire de Christophe, en partance pour la retraite à la fin de l’année universitaire, mais qui s’est attaqué d’arrache-pieds à la refonte de son intervention en 1ère année ? Sa passion, un brin contagieuse, l’a poussé à s’investir, avec l’énergie d’un débutant enthousiaste, dans la scénarisation d’une des SAÉ du premier semestre.
Il a osé faire la transition d’une pédagogie qui, selon ses mots, “portait les étudiants”, vers un parcours, fait de rendez-vous cadencés, dans lesquels la priorité est à un “apprentissage bienveillant”, c'est-à-dire dans lequel on ne cherche pas à piéger celui qui n’a pas compris. Christophe, en regardant les jeunes à l'œuvre, se réjouit de les sentir qui accrochent...
Qui danse ?
N°96 // MAI 2022 // LES SAÉ ET LEUR MISE EN PLACE SUR LE TERRAIN / 9
Les étudiants sont les premiers concernés par l’évolution et, en même temps, ils sont les plus disponibles puisqu’ils n’ont aucun passé, ni aucun passif à surmonter pour accéder à la formation. De fait, ils s’adaptent aux SAÉ qu’on leur propose, aussi bien qu’à n’importe quelle autre activité : ils opèrent dans les limites qu’on leur impose, et s’engagent à la mesure de ce que leur précédent parcours a éveillé en eux. Théo, qui a, pendant plusieurs étés, travaillé dans l’entreprise d’automatisme de son père, n’a pas de réticences face à ce qu’on lui demande, car il comprend à quoi ça sert “dans la vraie vie”.
REVUE DES DÉPARTEMENTS DE GÉNIE ÉLECTRIQUE & INFORMATIQUE INDUSTRIELLE