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Thierry Lorey regarde les évolutions de consommation avec recul. « Au début des années 90, en volume, le rosé n’excédait pas 10 % de la consommation en France, quand il flirte aujourd’hui avec les 35 %. À travers les différentes études, l’on constate une mutation de la consommation, une hausse des vins blancs, des rosés, des pétillants, qui sont en forte concurrence avec la bière. Les mots qui viennent pour expliquer le succès du vin rosé sont frais, fruités, légers, voire féminins. »
Il regarde aussi avec pragmatisme la concurrence avec la bière : « Il faut se souvenir qu’au début des années 2000, la bière était en décroissance. Ce secteur a travaillé sur plusieurs relais de croissance : bières artisanales, locales, aromatisées, sans alcool. Il a défini une cible plus jeune et plus féminine. Il y a eu des initiatives couronnées de succès vers des bières par- fumées à la tequila, comme la Desperados, avec l’idée de les rendre simples et acces- sibles. » Il reconnaît que le changement ne s’est pas fait en un jour. Des marques ont émergé, mais cela est passé par beau- coup de tentatives et d’échecs.
La bière a aussi opéré plus tôt un vi- rage vers le sans alcool. « Ce n’est plus une niche, de grandes marques comme Kronenbourg ou Heineken l’ont intégré. La bière sans alcool, c’est 5 % de part de mar- ché, quand le vin sans alcool est à 0.6 % de part de marché. » Là aussi, les réussites d’aujourd’hui ont été jalonnées d’échecs hier. « Dans le secteur du vin, le sans alcool me paraît une niche, mais avec un très gros potentiel. » (Source : Kantar, 2021)
« On veut toujours partager le vin »
Thierry Lorey revient au sujet du vin. Il explique travailler sur une étude por- tant sur la génération Z qui suggère des packagings plus petits : « 37,5 ou 50 cen- tilitres. La logique est de dire : "On veut boire moins, mais on veut toujours pouvoir partager". » Autant, dans la société, boire une bière seul est admis. Autant, le vin se partage, « comme s’il fallait faire face à une culpabilité inconsciente. »
Sur cette génération Z, il note aussi une distorsion entre le produit vin et son image, et le mode de communication de ces moins de 27 ans. « Ils revendiquent la consommation locale, mais sont impré- gnés par des tendances mondiales car ils
Les vins tranquilles en perte chez les jeunes. (Étude Nielsen, avril 2023)
CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - JUIN 2023 26
Économie
sont hyper connectés. Le temps moyen en ligne sur les réseaux sociaux est de 4 à 6 heures par jour. » Ce qui signifie que communiquer avec cette génération passe par le digital. « Ils regardent moins la télé- vision, écoutent moins la radio. Par contre, ils consomment des émissions en podcast. 75% des moins de 25 ans ont Tik-Tok, contre 10 % des 50-65 ans. Si le vin peut avoir du mal à rentrer dans leurs codes, les valeurs de la viticulture peuvent être une carte à jouer. Les jeunes veulent travailler dans des entreprises avec des préoccupa- tions environnementales, sociétales. » Et d’admettre que cette génération, comme les autres, cultive ses paradoxes : « Quand on interroge la génération Z, ils perçoivent le vin comme un produit plus cher que la bière. Pour autant, ils sont prêts souvent à dépenser plus pour se payer un bon vin. Car ils l’assimilent à une situation d’exception, à une consommation d’exception. »
Il constate que là aussi, le vin passe à côté de pans entiers de la culture de la nouvelle génération. « Prenez l’exemple des jeux vidéo qui constituent aujourd’hui l’une des premières industries culturelle au monde. »
«Un jeu comme LOL (League of Le- gends) parvient à réunir 73 millions de spectateurs en ligne pour sa finale mon- diale en 2021. Quelles sont les marques qui se sont engouffrées dans ce secteur ? Les boissons énergisantes, les sodas et les bières (en fonction des dispositifs légaux des pays). Les vins en sont absents. For- cément, être présent sur ce type de plate- forme demande d’importants moyens, car la barrière à l’entrée est élevée. Mais com- mander un repas en ligne, aller chez Mc Do, jouer en ligne constitue le quotidien des jeunes adultes. »
Que faut-il en retenir
Est-ce que le climat influe sur la consommation de vin ?
À ce jour, aucune étude ne montre quels sont les seuils de saturations des couleurs de vin en fonction de la température exté- rieure. Cependant, on ne peut se satisfaire de la simple réponse : « Quand il fait chaud, les gens ne boivent pas de vin rouge.» Comme le soulignait António Graça, le monde de la bière s’est doté d’études, sans doute que le monde du vin doit envi- sager aussi d'en mener.
Cependant, restreindre l’argumentaire au seul climat d’une désaffection ou d’une appétence pour le vin serait synonyme d’un raccourci hâtif que ne peut valider le scientifique Gabriel Lépousez.
De nouveaux produits pour retrou- ver de nouveaux marchés ?
L’économiste chilien Alejandro Fuentes Espinoza le confiait à un média portugais : «Nous continuerons à produire des vins de qualité, mais ils seront sans doute diffé- rents. » Si la vigne s’adapte à ce change- ment climatique, les vignerons, dans leur production en font autant.
Le mois prochain: ils proposent de nouveaux profils de vins pour conquérir de nouveaux clients ?
Le mois prochain, nous irons à la ren- contre de vignerons de Bordeaux et de Bergerac qui mettent en avant de nou- veaux produits, qui misent sur le côté « ac- cessible » dont parlait Thierry Lorey. Qui estiment que le vin a des parts de marché à prendre auprès des jeunes en pensant à leurs occasions de consommer et à leur attente de fraîcheur.
> Dossier réalisé par Emmanuel Danielou