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 vaillé sur le sujet estiment cependant qu’à Bordeaux, on ne serait pas en inconfort hydrique avant 2050. Ce qui n’exclut pas de possibles années très sèches, comme en 2022, alors que nous connaissons des régimes de précipitations intenses depuis deux ans. Ce qui prime, c’est l’irrégularité.
Quels sont les principaux leviers d’action explorés face au réchauffement climatique ?
N. O. : Il y a des leviers d’action tech- niques à court terme, notamment tout ce qui relève de la gestion des sols. Les pratiques à mettre en œuvre vont avoir comme objectif de favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols et d’éviter le ruissel- lement en cas de fortes précipitations. Il est extrêmement important d’augmenter la réserve en eau des sols, facteur déter- minant pour le rendement, afin de pouvoir faire face à des sécheresses ou des pics de chaleur, plutôt que de vouloir ouvrir le robinet de l’irrigation et de mobiliser des ressources. D’autant que si elles venaient à manquer, la vigne ne serait peut-être pas prioritaire.
La préparation des sols à la plantation et la plantation elle-même semblent des vo- lets importants qu’il convient de bien soi- gner. Dans d’autres projets, nous avons vu des vignes plantées dans des conditions compliquées, à la machine, avec des sys- tèmes racinaires qui sont déformés et ne se développeront pas en profondeur.
Il s’agit aussi de jouer avec les enher- bements ou des couverts végétaux que l’on est en mesure de gérer et qui ne de- viennent pas trop compétitifs, qui vont fa- voriser l’infiltrabilité de l’eau. Ils contribuent de plus à l’amélioration des propriétés du sol, à sa capacité de stockage du carbone, à la préservation de la biodiversité, qui est un élément important pour le développe- ment de pratiques moins impactantes sur l’environnement.
Parmi les leviers, il y a également la réduction des densités de plantation, les modes de conduite du vignoble, la gestion des hauteurs de feuillage par exemple, pour limiter la transpiration de la plante. La pratique de l’effeuillage est à éviter en règle générale car l’un des risques en si- tuation caniculaire est la brûlure des rai- sins, surtout pendant la phase pré-vérai- son. Toutes ces questions doivent relever d’une gestion adaptative.
D’autres leviers encore sont utilisés ou expérimentés : les modalités de récolte, avec des vendanges la nuit ou en plusieurs dates, les pratiques œnologiques telles que la sécurisation des fermentations, la gestion de l’acidité...
Vous mettez également en avant la diversification du matériel végétal.
N. O. : Tout ce qui relève du choix du matériel végétal constitue un levier d’ac- tion très important. Il y a d’abord le porte- greffe. À Bordeaux, à l’heure actuelle, il n’y a pas trop de risques à choisir des porte- greffes plus résistants à la sécheresse, pour les sols de graves par exemple. C’est
Il n’y a pas de recette toute faite, nous avons voulu apporter toutes les clés possibles.
une sorte d’assurance pour les années sèches. Parce qu’on a beaucoup misé, au cours des dernières décennies, sur des porte-greffes sensibles, peu vigoureux, et globalement, on en souffre un peu au- jourd’hui, avec des vignes et des rende- ments plutôt faibles.
C’est ce que montre le dispositif Greff- Adapt à Bordeaux, ce sont les vignes les plus vigoureuses qui vont s’en tirer le mieux. L’une des hypothèses est que leur système racinaire est plus développé et leur permet d’aller chercher l’eau plus en profondeur. Tout ce qui va permettre un meilleur enracinement est une assurance face au stress hydrique.
En matière de cépages, la diversité clo- nale n’a certainement pas été suffisam- ment valorisée. Il y a matière à revisiter les conservatoires pour identifier ceux qui pourraient être les plus tardifs ou qui accu- mulent moins de sucres.
Choisir des cépages plus tardifs ou plus résilients vis-à-vis des températures élevées peut aussi répondre aux besoins sur le plus long terme. Il faut bien sûr les
évaluer dans nos conditions, pour détec- ter par exemple des sensibilités aux ma- ladies. Il est nécessaire d’envisager ces changements, en même temps qu’on envisage des variétés résistantes aux maladies. L’encépagement a toujours évo- lué, notamment à Bordeaux, où il y avait beaucoup moins de Cabernet sauvignon et quasiment pas de Merlot au début du XXe siècle.
La 2e partie de votre ouvrage est consacrée à la manière dont les acteurs de la filière se mobilisent ou peuvent se mobiliser pour construire ensemble des stratégies pour l’adaptation.
N. O. : En effet, il n’y a pas de recette toute faite, pas de solution unique pour permettre l’adaptation de la vigne et du vin aux impacts du changement climatique à moyen et long terme. C’est aussi ce que nous avons essayé de montrer à travers cet ouvrage.
Nous avons voulu apporter le plus de clés possibles. Elles doivent être bien ré- fléchies et prendre en compte de nom- breux éléments. Elles sont en tout cas nombreuses, et c’est en quoi il faut être un peu optimiste.
Après, les choix relèvent de ceux qui vont les mettre en œuvre, de ceux qui en vivent. Cela peut se faire au niveau des viticulteurs, des acteurs de terrain et des chercheurs, à l’échelle des décisions po- litiques prises par la filière. Il y a, à tous les niveaux, une volonté de mobilisation, des projets qui émergent, des expérimen- tations mises en place... L’intérêt est que chaque acteur de la filière s’investisse. Je crois que le collectif peut faire beaucoup.
Propos recueillis par Cécile Poursac
« Vigne, vin et changement
climatique », coordination
Nathalie Ollat et
Jean-Marc Touzard
(directeur de l’UMR
Innovation à Montpellier),
éditions Quæ, 284 pages.
Édition papier 40 €, e-book en accès libre après inscription sur www.quae.com
Entretien
 15 CONNEXION - VINS DE BERGERAC ET DURAS - JUILLET-AOÛT 2024





































































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